Réforme des baux et de la pleine propriété en Angleterre et au Pays de Galles

Immeuble résidentiel

En Angleterre et au Pays de Galles, le système de propriété immobilière est très différent de celui que nous connaissons en France. Deux principales formes de propriété existent : la pleine propriété (« freehold ») et le bail à long terme (« leasehold »).

La pleine propriété, similaire à celle en France, signifie que l'on détient la propriété complète du terrain et du bâtiment de façon permanente. En revanche, le bail à long terme est un type de propriété plus complexe, où l'on détient seulement un droit d'occupation sur une période prolongée, généralement 99, 125 ou même 999 ans. Le détenteur d'un bail (le locataire) doit payer un loyer annuel au propriétaire du terrain (le bailleur ou « freeholder »), qui conserve le titre de propriété complet.

Cette structure crée des situations problématiques, notamment lorsque le bail commence à expirer et que le locataire doit négocier pour renouveler le bail, souvent à un coût élevé. De plus, les locataires sont soumis au paiement de loyers fonciers (« ground rents ») et de charges diverses fixées par le bailleur, ce qui peut entraîner des frais importants et imprévisibles.

En France, la majorité des biens immobiliers sont acquis en pleine propriété, ce qui signifie que l'acheteur détient la propriété totale et ne paie pas de redevance foncière, sauf dans le cas de copropriétés où des charges communes peuvent être exigées. Ce système rend la gestion des biens beaucoup plus simple par rapport à la complexité des baux à long terme en Angleterre et au Pays de Galles.

Pourquoi une réforme est-elle nécessaire ?

Le système de baux à long terme en Angleterre et au Pays de Galles a souvent été critiqué pour sa nature désavantageuse pour les locataires. Les conditions des baux, les hausses de redevance foncière et les charges de service opaques créent une situation déséquilibrée entre les propriétaires fonciers et les locataires. La réforme est donc nécessaire pour rétablir l'équité et offrir plus de transparence et de stabilité financière aux détenteurs de baux.

Les réformes proposées visent à simplifier le processus de renouvellement des baux, à réduire les coûts associés et à renforcer les droits des locataires face aux abus potentiels. De plus, certaines dispositions du projet de loi cherchent à limiter, voire à supprimer, les loyers fonciers abusifs et à offrir aux locataires des moyens plus efficaces de contester les charges excessives.

Dans ce contexte, cet article présente les principales propositions de réforme en cours et leurs implications pour les propriétaires et les locataires en Angleterre et au Pays de Galles.

Réformes prévues

Une réforme complète des baux à long terme est en discussion depuis fin 2017.

En juillet 2020, la Law Commission a publié plusieurs rapports proposant un large éventail de réformes. Cependant, la seule législation adoptée à ce jour est la loi de 2022 sur la réforme des loyers fonciers. Cette loi de 2022 limite la redevance foncière due au titre de la plupart des nouveaux baux résidentiels de longue durée (et ceux des résidences pour retraités après le 1er avril 2023) à une somme nominale de type « peppercorn » par an (ce qui effectivement réduit les loyers fonciers à zéro).

Cependant, cette situation de statu quo pourrait évoluer en 2024. Le 27 novembre 2023, le gouvernement a introduit le projet de loi sur la réforme des baux à long terme et de la pleine propriété pour renforcer les droits des locataires et réduire les primes exigées pour les extensions statutaires de bail ou l’acquisition de la pleine propriété.

Voici un aperçu des principales propositions de réforme en décembre 2023.

Résumé des dispositions du projet de loi sur la réforme des baux et de la pleine propriété :

  1. Durée de l'extension légale des baux : Le projet de loi prévoit une extension statutaire des baux à 990 ans (au lieu des 90 ans actuels) pour les appartements, en plus de la durée initiale, ainsi qu'une extension supplémentaire de 50 ans pour les maisons.
  2. Plafonnement de la redevance foncière : Le projet de loi actuel plafonne les redevances foncières des baux existants à 0,1 % de la valeur d’un bien en pleine propriété pour le calcul de la prime d'extension statutaire de bail ou d'acquisition de la pleine propriété. Dans le cas de baux avec des loyers à doublement périodique ou indexés sur l'Indice des Prix à la Consommation (IPC), cette réforme entraînera un transfert significatif de patrimoine des bailleurs aux locataires. Une consultation est en cours (jusqu'au 17 janvier 2024) pour déterminer si les loyers fonciers doivent être réduits à un peppercorn (£0,01 par an) ou plafonnés à des valeurs financières absolues.
  3. Droit de réduction de la redevance foncière pour les baux à long terme : Si la redevance foncière des baux existants n'est pas réduit à un peppercorn, le projet de loi introduira un nouveau droit simplifié - applicable aux baux de plus de 150 ans restants sur la durée - permettant de réduire le loyer à un peppercorn moyennant le paiement d'une prime.
  4. Abolition de la « valeur matrimoniale » : Actuellement, pour les baux de moins de 80 ans restants sur la durée, la législation stipule que l'augmentation de valeur liée à l'extension du bail ou à l'acquisition de la pleine propriété doit être partagée à 50/50 avec le propriétaire. Ce coût supplémentaire, appelé « valeur matrimoniale », peut augmenter considérablement le coût de l'extension ou de l'acquisition. Le projet de loi supprimera cette valeur matrimoniale ainsi que la « valeur d'espoir » liée aux appartements ne participant pas à l'acquisition collective de la pleine propriété. Cette réforme représente un transfert de valeur significatif des propriétaires aux locataires et pourrait être contestée juridiquement.
  5. Valeur matrimoniale/développement : Actuellement, lors de l'acquisition de la pleine propriété, les locataires doivent indemniser les propriétaires pour la perte de possibilités de développement. Si la valeur de développement dépend de la réunion des intérêts du bail et de la pleine propriété (par exemple, un espace sous les combles appartenant au propriétaire et n'ayant d'utilité que pour l'appartement situé en dessous), les locataires ne seront plus tenus de payer cette valeur, car la valeur matrimoniale et la valeur d'espoir seront abolies. À noter que la valeur matrimoniale liée à l'aménagement des combles peut facilement atteindre 30 000 £ ou plus dans le Grand Londres. En revanche, si l'opportunité de développement est indépendante (comme la construction d'un nouvel étage), la valeur de développement restera due.
  6. Fixation des taux : Les taux de capitalisation et de différé utilisés pour calculer les primes d'extension de bail et d'acquisition de la pleine propriété seront fixés par des règlements secondaires - révisés tous les dix ans par le Secrétaire d'État. Cela pourrait augmenter ou réduire les primes selon les taux choisis.
  7. Éligibilité immédiate pour les nouveaux locataires : Les nouveaux locataires n'auront plus à attendre deux ans pour bénéficier de leurs droits légaux, permettant un accès immédiat à l'extension légale du bail ou à l'acquisition de la pleine propriété (dans le cas des maisons en bail).
  8. Augmentation de la limite des locaux non résidentiels pour la gestion ou l'acquisition : Actuellement, un immeuble à usage mixte doit comporter moins de 25 % de surface commerciale pour bénéficier des droits collectifs d'acquisition de la pleine propriété ou de gestion. Le projet de loi augmentera cette limite à 50 %, étendant ainsi les droits des locataires à de nombreux bâtiments spécifiquement conçus pour en être exclus.
  9. Obligation de baux longs pour les propriétés conservées : Actuellement, un propriétaire peut bloquer l'acquisition de la pleine propriété en refusant un bail long discrétionnaire de 999 ans sur toute propriété conservée (telle qu'une unité commerciale). Le projet de loi rendra ces baux obligatoires.
  10. Simplification des transactions de bail : Le projet de loi fixera un délai et des frais maximums pour la fourniture d'informations sur les biens en bail (formulaires LPE1) lors d'une transaction de bail.
  11. Transparence des charges locatives : Le projet de loi exigera un rapport standardisé et clair des charges locatives. Les propriétaires devront fournir les demandes de charges sous une forme prescrite, faute de quoi ces demandes seront invalides. Des rapports annuels seront exigés, incluant des états financiers certifiés par un comptable lorsque quatre résidences ou plus sont concernées par des charges variables. Les locataires auront également le droit de demander des informations sur les charges au propriétaire.
  12. Transparence des frais d'assurance : Le projet de loi remplacera les commissions d'assurance des bâtiments par des frais d'administration transparents, empêchant les charges cachées excessives pour les locataires. Les propriétaires ne pourront pas répercuter les frais d'organisation de l'assurance sur les locataires et devront fournir les informations d'assurance spécifiées.
  13. Frais d'administration : Les propriétaires devront divulguer tableau des frais d'administration. Les propriétaires ne pourront percevoir ces frais que s'ils sont listés dans le tableau publié. Les détails seront précisés dans des règlements ultérieurs.
  14. Accès élargi aux systèmes de recours pour les locataires : Le projet de loi obligera les propriétaires gérant des biens à rejoindre des systèmes de recours, offrant aux locataires un recours en cas de mauvaises pratiques.
  15. Protection des coûts juridiques des locataires : Le projet de loi supprimera la présomption que les locataires doivent payer les frais juridiques des propriétaires lors de contestations (par exemple, en cas d'abus sur les charges locatives). Les frais de litige ne seront pas récupérables via les charges locatives, sauf si le propriétaire obtient une décision contraire du tribunal, ce qui réduira la charge financière des locataires. De plus, les locataires ne seront plus responsables des frais non litigieux du propriétaire pour les extensions de bail et les acquisitions de pleine propriété (frais juridiques et d'expertise).
  16. Droits de recours pour les propriétaires de biens en pleine propriété : Le projet de loi étendra aux propriétaires en pleine propriété sur des lotissements ou domaines mixtes des droits de recours similaires à ceux des locataires, leur permettant de contester les charges de domaine. Ces charges peuvent actuellement être opaques et excessives, avec peu de possibilités de recours – ces lotissements étant parfois appelés "fleecehold estates". À l'avenir, les locataires ne seront responsables que des charges de gestion raisonnablement engagées et correspondant à des travaux de qualité.
  17. Renforcement de la loi sur la sécurité des bâtiments de 2022 : Le projet de loi renforcera la loi sur la sécurité des bâtiments de 2022 pour s'assurer que les propriétaires et les promoteurs financent la réhabilitation des bâtiments comme prévu.
  18. Interdiction de la vente de maisons en bail : Le projet de loi interdira la vente de nouvelles maisons en bail, sauf dans des cas exceptionnels, garantissant que la plupart des nouvelles maisons en Angleterre et au Pays de Galles soient en pleine propriété dès le départ. Il est cependant à noter que cette mesure a été accidentellement omise dans le projet de loi initial et devra être ajoutée par amendement.

Commentaire sur les réformes d'évaluation

Le projet de loi sur la réforme des baux à long terme et de la pleine propriété pourrait faire l'objet de modifications substantielles au cours de son passage dans les deux chambres, et, en cas d'élections générales anticipées, le projet de loi pourrait être abandonné.

Plusieurs des mesures proposées pourraient être interprétées comme une ingérence dans des contrats légaux existants et reconnus, entraînant un transfert de valeur significatif des propriétaires fonciers vers les locataires. En particulier, la nouvelle méthodologie d'évaluation est déconnectée des forces du marché et extrêmement artificielle, puisqu'elle suppose que les droits légaux d'extension de bail ou d'acquisition de la pleine propriété ne seront jamais exercés – alors même que ces droits sont en train d’être appliqués.

Le très honorable Michael Gove a soutenu que la nouvelle méthodologie d'évaluation respecte l'Article 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui stipule que toute personne a droit au respect de ses biens. La privation de ce droit peut être autorisée dans "l'intérêt général", mais il est difficile de comprendre comment l'intérêt général des propriétaires fonciers (y compris les locataires ayant acquis la pleine propriété à un coût financier élevé), ou même celui des investisseurs et de leurs bénéficiaires (tels que les organismes de bienfaisance, les fonds de pension et leurs membres), pourrait être ignoré. Par conséquent, la législation prévue pourrait également être contestée juridiquement par les propriétaires fonciers institutionnels.

Il est toutefois possible que les réformes d’évaluation s’équilibrent mutuellement. Par exemple, bien que la valeur matrimoniale puisse être supprimée, le gouvernement pourrait décider de fixer les taux utilisés dans le calcul des évaluations à un niveau pénalisant pour les locataires. Ainsi, les réductions de la prime payable pour l'extension statutaire du bail pourraient être inférieures aux attentes. Pour illustrer cela, nous présentons ci-dessous un graphique indiquant l’impact de la fixation du taux de différé à différents niveaux sur la prime payable selon le projet de loi, en pourcentage de la prime payable selon la législation actuelle (la loi de 1993 sur la réforme des baux, le logement et le développement urbain).

Graphique : effets de la fixation du taux de différé à différents niveaux sur la prime payable

Jusqu'à ce que le projet de loi reçoive la sanction royale et que ses dispositions soient pleinement mises en œuvre, la législation applicable à l’évaluation des extensions de bail reste la loi de 1993. Cependant, le projet de loi sur la réforme des baux et de la pleine propriété pourrait fournir aux locataires des arguments pour demander une réduction de la valeur matrimoniale (en raison du risque potentiel de sa suppression) et une réduction de la redevance foncière capitalisée (car les loyers pourraient être plafonnés). Ces arguments n'ont pas encore été testés devant le Tribunal de Première Instance (Chambre Foncière).

Commentaire sur les réformes des charges locatives

En ce qui concerne les charges locatives, il est évident que bien que plusieurs mesures aient été mises en place pour lutter contre les abus, celles-ci concernent principalement la manière dont ces charges sont communiquées. Le non-respect de ces mesures par le propriétaire ou le gestionnaire continuera, comme c’est le cas actuellement, d’obliger les locataires à saisir le Tribunal de Première Instance (Chambre Foncière).

Il est illégal pour les propriétaires ou leurs agents de tirer profit des charges locatives, qui sont des fonds détenus en fiducie. Néanmoins, rien n’empêche vraiment les propriétaires de faire appel à des sociétés affiliées pour la gestion ou l’entretien, souvent avec des facturations gonflées par rapport aux concurrents. Tant que le lien entre les sociétés n’est pas clairement établi (par exemple, les mêmes administrateurs n'agissant pas pour plusieurs sociétés à la même adresse), ce montage a peu de chances d’être sanctionné par le Tribunal.

Le système actuel des Tribunaux et des Cours de Comté concernant les litiges relatifs aux charges locatives est coûteux et, selon certains, très stressant pour les locataires. Cela peut être exploité par les propriétaires et leurs agents pour perpétuer de tels systèmes de gestion.

Actuellement, bien que les locataires soient les consommateurs finaux des services, ils ne sont pas responsables de la sélection des prestataires de services. On pourrait arguer qu’une réforme plus judicieuse consisterait à transférer la responsabilité par défaut de la gestion des charges locatives aux locataires, qui deviendraient alors les clients directs des gestionnaires et des entreprises d’entretien, avec un contrôle approprié des coûts.

Il reste à voir si les mesures concernant les charges locatives dans le projet de loi seront renforcées avant la sanction royale.


Si vous souhaitez savoir comment les changements proposés pourraient affecter la valeur des actifs, nos rapports d’évaluation de l'extension de bail et d’évaluation de la pleine propriété incluent désormais des informations détaillées sur les implications potentielles des réformes.

Cet article est fourni à titre de guide général uniquement. Bien que nous nous efforcions de garantir l’exactitude et l’actualité des informations, cela ne peut être assuré. Les informations ne doivent pas être considérées comme des conseils juridiques, et Pro-Leagle décline toute responsabilité quant à leur utilisation.


Cet article a été rédigé par Pro-Leagle - un cabinet d'avocats spécialisé

Écrit par Corinne Tuplin (LLB, LPC), Avocate, décembre 2023